L’art du « maître saucier », qui en a la mémoire ? Sylvain Petit vous conte l’histoire des vinaigriers-moutardiers avec une telle curiosité de savant que sa parole semblait destinée aux ondes. C’est depuis chose faite, notamment sur France Inter qui lui a consacré une émission en 2018 aux côtés du grand Chef Philippe Bellissent, lequel manie avec audace moutardes et vinaigres artisanaux. Si je vous en conseille vivement l’écoute (« On va déguster » par François Gaudry), c’est parce que Sylvain est aussi un homme de science qui parle des molécules du piquant, du moment où « la sinigrine se transforme en organosulfuré » et croyez-moi, ses explications scientifiques font plaisir à l’intelligence. Elles montrent que souvent l’humanité sait par expérience ce qu’elle découvrira longtemps après des lois naturelles et qu’il ne suffit pas de lire des traités pour savoir faire, tel est le secret du tour de main.
L’origine du mot Moutarde
Mais je ne puis raconter à mon tour de la même façon et la pâte romaine et le vin aigre immémorial, seulement une légende, celle d’un homme debout, d’une grande cohérence éthique. En me souvenant de l’origine légendaire du mot « moutarde » que m’a rapportée Sylvain, je dirai « Moult me tarde » de faire le récit du chevalier à la fleur de chou qui introduisit la moutarde locale en Ardèche et fit récemment une boisson désaltérante, surprenante en fraîcheur qu’il vous appartient de deviner.
Laissez-moi vous raconter l’histoire du seigneur Sylvain d’Aizac, maître saucier du royaume dont les rois et les reines sont les chefs étoilés, et lui « Talent gourmand » d’une autre Table ronde ; en l’an 2017, il fut grand moutardier. Il était une fois un jeune ingénieur de France qui voulait vivre en cohérence avec Dame « Nature » ou bien Dame « Naissance », cette unique beauté à laquelle l’Ardèche offre vignes et fleurs. Alors qu’il inventait des formules compliquées en diable dans une tour industrielle, loin de ce paradis entrevu en rêve, lui revint une ancienne chanson de la ménestrelle Barbara : « Dis, quand reviendras-tu? / Dis, au moins le sais-tu? / Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère / Que tout le temps perdu ne se rattrape plus ». Cette nuit-là, le jeune homme quitta la tour, le navire et regagna la terre, une petite laiterie familiale où le travail lui plut. Mais un jour de liesse, descendu dans sa cave, il goûta du vin aigre et eut la révélation que l’antique vinaigre serait son élixir, un signe du destin. Lisant dans les grimoires, il remonta le temps et la Loire jusqu’à « la méthode orléanaise », qui met en bouche plus de douceur, rendant l’aigreur suave grâce au temps que l’on donne à la « mère » de cépage, six mois de patience et de soins au lieu de 24 heures chez les vilains du temple de Chimique. Ayant lu qu’à l’époque des malheurs, « le vinaigre des quatre voleurs » sauva le royaume de la peste, Sieur Petit fonda sa vinaigrerie en philanthrope, par amour du sorcier qui vit en tout saucier, disons-le sans ambages, pour écrire une page où l’on ne peste pas contre le vin aigre. Cependant à Aizac, près du château de Craux, l’attendait une nouvelle quête…
Son âme était tranquille et le jour se levait. Il avait ressuscité un métier disparu, il était fier de son travail devant ses fûts de chêne, la myrtille de Barnas parfumait l’humeur du chardonay, les rouges naturels enivraient l’échalote, le miel de lavande ou de châtaignier, icelui venait d’être référencé au Collège Culinaire de France. Sous la fraîcheur des voûtes, il en était heureux. Il était tout à sa joie calme quand une sphinge l’interrogea soudain : — ‘’Quelle est la chose qui ne se fait plus mais qui pourrait encore se faire, et même ici-même où tu passes ta vie ?’’ A la voix, il répondit sans hésiter : ‘’la moutarde’’. A quoi avait servi de bouter les Anglais hors de France si la moutarde montait au nez avec des graines du Canada ? Pourtant cette fleur de chou était gallo-romaine.
Ainsi le nouveau graal fut piquante aventure, sinon de moutarder un lapin du terroir, du moins d’avoir des fleurs de moutarde à foison qui dépolluent les terres en plante de jachère. Il choisit donc la pierre où bâtir son moulin. Des carrières de Chomérac sortit son sacré grès, la machine à moudre des Archives et de l’ancien français où un « pied » bourguignon mesure le passé et ne vaut pas l’orléanais ou un autre. Dieu reconnaîtra le sien et le travail de Bénédictin, pensa le chevalier en regardant ses pieds. Il fut long le chemin pour construire sa meule, semer les fleurs en quatre variétés, ramasser les crucifères épicés, à la faucille, sous un soleil de plomb. Puis le maître saucier enleva seul la cosse des fruits frais, trempa dans « le vert jus » qui est son bon vinaigre, les graines gorgées promises à la moutarde fine ou à l’ancienne selon comment on tamise et broie. Le miracle se fit. De gloire il ne voulut pas. Déjà il appelait la sphinge pour un autre défi, laquelle s’énerva : — ‘’Qu’est-ce que ne t’a pas donné ta mère ?’’ — ‘’De la limonade’’, se dit-il et il se mit à ajouter à la mère de vinaigre du sucre et du citron suivant une recette du XVIe siècle.
Mais il est l’heure d’en venir à la morale du conte :
Une bouteille à la ‘’mère’’ vaut mieux qu’à l’océan Mais cela ne suffit aux métiers renaissants.
Les gestes des anciens auraient tôt fait naufrage Si les livres n’étaient le témoin du passage
Et la vie le temps de l’action.
Tel l’homme et ses résurrections,
Pensez avec vos mains et votre intelligence. Ainsi l’écologie écrit nos seules stances
Si l’on veut cueillir le jour d’après et la vie.
Carpe Diem !